LYCANTHROPIE AU QUÉBEC

Le lycanthrope blesse l'imagination

Bien qu’écrites par des missionnaires français, les Relations des jésuites demeurent un des textes fondateurs de notre littérature québécoise. On peut y lire des histoires surprenantes, comme celle de l’expédition du Père Dablon, qui en 1661 part de Tadoussac vers le nord accompagné du Père Druillettes et de quelque 80 canots de Montagnais. Il espérait gagner la baie d’Hudson pour ouvrir un passage vers l’Ouest et y rejoindre les représentants de diverses nations autochtones afin d’organiser le commerce avec elles. En arrivant au Saguenay, la troupe des pères jésuites apprend que les délégués amérindiens qui les précèdent et qu’ils doivent rejoindre ont été décimés par une étrange maladie. Ce mal inconnu « blesse l’imagination » des gens qui en sont atteints et leur cause une « faim plus que canine », qui les rend « affamés de chair humaine ». Les malades se jettent sur les femmes et les enfants et vont même jusqu’à attaquer les hommes, qu’ils dévorent à belles dents, « comme de vrais loups-garous ». Les Indiens infectés ont dû été tués pour mettre un terme au massacre. Les guides montagnais de Dablon lui conseillent de rebrousser chemin, mais celui-ci persiste ; le « salut d’une âme », après tout, « vaut bien plus que mille vies ». (Relations des jésuites, 1661, volume III)

Le jésuite rapporte cet épisode de lycanthropie dans ses relations de voyage, bien qu’il mette lui-même en doute la véracité des propos de ses guides, qu’il soupçonne de vouloir retourner vers le Sud parce qu’ils craignent les Iroquois. Mais l’occurrence de cette étrange maladie n’est pas exceptionnelle dans la littérature québécoise, qui a fait ses choux gras, aux 19e et 20e siècles, des histoires de loups-garous. 

Prenons par exemple Pierriche Brindamour, le personnage d’Honoré Beaugrand, qui raconte en avoir aperçu tout un régiment alors qu’il travaillait, adolescent, sur un chaland dont son père était capitaine. Cette ronde de loups-garous, réunie par Satan lui-même, s’apprêtait à dépecer un pauvre chrétien pour en faire un fricot (« Le loup-garou », dans La Chasse galerie, 1900). Chez Pamphile Lemay, c’est le brave Firmin qui aurait délivré un jeune homme de la lycanthropie en le blessant à l’épaule. Le pauvre bougre de Misaël s’était changé en loup-garou le soir même de ses noces avec la belle Catherine ! (« Le loup-garou », dans Contes vrais, 1907) Quant à Louis Fréchette, il nous rapporte l’histoire de Joachim Crête, le meunier de Saint-Antoine de Tilly, dont l’engagé au nom prophétique d’Hubert Sauvageau subit le même sort que Misaël… Pas étonnant, diront les gens du village : il n’avait « pas plus de religion qu’un chien » et « jamais on voyait sa corporence à la messe ». (« Le loup-garou », dans La Noël au Canada, 1900) 

Exactement comme le Ti-Toine Tourteau de Louvigny de Montigny (« Une histoire de loup-garou », dans Au pays de Québec, 1945). Un mécréant ! Une fois changé en loup, il s’en va terroriser le coureur des bois Jos Noël et son chien Boulé, « lui qu’i’ aurait pas kické d’s’engueuler avec un cocodrile enragé » et qui se blottissait néanmoins tout contre son maître à la vue de la bête. Dommage pour Ti-Toine, dont Jos Noël fera la peau avant de comprendre de qui il s’agissait. En effet, la tradition veut qu’on libère le loup-garou de sa punition en faisant couler une goutte de son sang, idéalement en traçant au couteau une croix sur son front, mais comme en témoigne l’histoire de Montigny, il est parfois un peu difficile d’être aussi précis. Le problème, c’est qu’en achevant la bête complètement, on tue un pauvre chrétien.  

Wenceslas-Eugène Dick, Charles-Marie Ducharme, Benjamin Sulte… ils sont nombreux les conteurs d’histoires de loups-garous. Le Québec était un endroit idéal pour leur prolifération puisque la légende veut qu’un chrétien se change en loup-garou s’il ne va pas à l’église pendant sept ans. Malheur à celui qui ne fait pas ses Pâques ! Le grand méchant loup le guette (de l’intérieur).