LE ROMAN GOTHIQUE AU QUÉBEC


Les sombres débuts de notre littérature

Horace Walpole, en plus d’avoir été premier ministre de la Grande-Bretagne au 18e siècle, était aussi auteur. C’est à lui qu’on doit le conte oriental Voyages et aventures des trois princes de Serendip, d’où est issu le mot « sérendipité », qui signifie « Découverte heureuse d’une chose totalement inattendue et d’importance capitale, souvent alors qu’on cherchait autre chose. » Mais ceci n’est pas la seule contribution de Walpole à l’humanité : c’est aussi à lui que nous devons le premier roman gothique, Le château d’Otrante, publié en 1764. 

Le roman gothique, que l’on considère comme une branche du roman fantastique, est donc né dans les landes humides de l’Angleterre et a pavé la voie à l’esthétique romantique qui allait suivre. L’atmosphère mélancolique, la prédilection de ses auteurs pour les couvents, les châteaux et autres espaces évoquant le Moyen Âge y sont de mise : ce sont des lieux fertiles en macabres rebondissements et en événements surréalistes. 

On gagnerait à s’intéresser à l’histoire de ce genre romanesque puisqu’avant la littérature du terroir, il existait une telle chose que le roman gothique au Québec. D’ailleurs, ce que la plupart des historiens considèrent comme le premier roman canadien-français en était un. Quiconque a lu L'influence d'un livre, écrit en 1837 par Philippe Aubert de Gaspé Fils, le sait : on y trouve un homme qui tente de conjurer le diable à l’aide de la main d’un pendu et d’une chandelle, une jolie fille, une poule noire, des légendes folkloriques, un traité d’alchimie, un meurtre et des incantations magiques. Tout y est. 

Suivront ensuite une série de romans plus ou moins connus, certes, mais qui suffiront pour revendiquer l’inscription du roman (ou de la nouvelle) gothique dans notre tradition littéraire : Les Révélations du crime ou Combray et ses complices (1837) de François-Réal Angers, Les Fiancés de 1812 (1844) de Joseph Doutre, La Fille du brigand d'Eugène L’Écuyer (1844), ainsi qu’Une de perdue, deux de trouvées (1848-49) de Georges Boucher de Boucherville. Péripéties, décors inquiétants, créatures mystérieuses sont au menu.

Bien entendu, le clergé ne tardera pas à encourager la production des romans dont la vision de notre patrie est plus idéalisante. L’essor d’une littérature « chaste et pure comme le manteau virginal de nos longs hivers » (dixit l’abbé Casgrain) sonnera le glas de nos sombres ambitions gothiques jusqu’à ce que des auteurs contemporains comme Patrick Senécal nous donnent à nouveau quelque chose à nous mettre sous la dent. Heureusement, le lecteur du 20e siècle aura pu patienter en lisant Le Philtre bleu (1924) de Jean Féron. Ce roman raconte l’histoire d’un singulier médecin du nom de Jakobson, qui concocte un philtre bleu caché dans sa maison cossue de la rue Sherbrooke à Montréal, où se produisent d’inquiétants accidents et dans laquelle se trouvent une lugubre crypte et des instruments de torture inspirés de nos scieries. On peut difficilement faire plus gothique.